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Le printemps des masques : un challenge national inattendu et complexe

En période de COVID-19, zoom sur la question de la fabrication des masques textiles en temps de pénurie de matériel. Le Dr Parneix nous livre son avis.

L’épisode Covid-19 soumet chacun, et chaque jour, à une épreuve humaine et psychologique à laquelle personne n’était réellement préparé. Maîtriser ses craintes et ses doutes, ne pas se laisser envahir par la peur ou céder à la panique reste la ligne de conduite autour de laquelle il faut essayer d’osciller sans trop d’amplitude. Nos compatriotes alternent en période de confinement des séances collectives de détente sur les plages, pour défier le mauvais sort et vouloir croire que le virus ne passera pas par eux, avec le port d’équipements de protection qui rassurent le plus souvent à tort. Le port de gants, que l’on essaie de limiter en milieu de soins à cause du risque de mésusage et de transmission croisée, fleurit dans la population. On observe des personnes essuyer leur nez avec leurs gants puis poursuivre leur activité en disséminant alors largement le virus dans l’environnement, puis vers les autres, si elles en sont contaminées.

L’usage des masques cristallise en ce moment ce challenge individuel et collectif de maitrise de l’épidémie Covid-19.

Malgré une doctrine nationale Grand public très constante sur le sujet, le déroulé continu des statistiques de l’épidémie dans le monde puis le pays, puis nos régions, a fait basculer chacun dans une approche de plus en plus individuelle basée sur le fameux principe de précaution pris dans la mauvaise acception du terme. Le nombre de personnes masquées que l’on croise dans les rues est significatif et on ne peut s’empêcher de penser, à l’heure où certains professionnels de santé de première ligne en sont encore parfois démunis, que le genre humain est surprenant. Il est difficile aussi de ne pas penser que certains masques pourraient être issus, à l’insu de leurs porteurs, des trop nombreux vols dont ont été victimes les établissements de santé.

Porter un masque dans la rue n’empêchera jamais totalement personne de se contaminer, mais si par malheur ces sujets masqués développent une forme grave de la maladie, une pénurie de masque dans les services de soins mettra significativement en péril leur avenir par défaut de personnels spécialisés toujours valides. Mais tout n’est pas sombre dans ce paysage et heureusement la solidarité nationale existe et s’organise avec l’envoi par nos grandes entreprises ou collectivités de stocks de masques de protection respiratoire qui nous seront précieux à un moment de l’épidémie. Merci à tous ces donateurs à l‘esprit collectif et puissent les autres encore détenteurs de masques, de la pandémie H1N1 ou d’ailleurs, faire la même chose via les ARS.

Parmi ces initiatives généreuses, il y a les nombreuses propositions venant de l’industrie textile, de la micro entreprise au géant du domaine, de fabriquer des masques en cette période de pénurie mondiale où la solidarité entre nations s’effrite inéluctablement. On ne peut que les en remercier aussi.

Comme souvent, les spécialistes de la prévention du risque infectieux se trouvent ici entre deux feux à savoir celui de leur savoir et de leurs connaissances et la pression et l’attente environnementales qui sont colossales. Alors peut-on remplacer un masque chirurgical par un masque en tissu ?

Pour essayer d’y répondre objectivement il faut rappeler tout d’abord ce qu’est un masque chirurgical. En France, il s’agit d’un dispositif médical à usage unique fabriqué en non tissé avec plusieurs couches accolées. C’est ce caractère multicouche, ou laminé en terme technique, qui va lui conférer ses propriétés protectrices. Sur un modèle trois couches on aura des couches externes de fabrication « spunbond » et une couche centrale de fabrication « meltblown ». Cette dernière est la couche la plus étanche fabriquée à base de fibre de polyéthylène ou de polypropylène et assemblée par chauffage ou collage. Les couches externes, elles, sont souvent de compositions similaires mais avec un mode d’assemblage visant à conforter leur résistance. L’enjeu d’un masque chirurgical est donc d’être protecteur tout en permettant une respiration confortable. Un masque chirurgical doit être conforme à la norme NF EN 14683 et doit en particulier bloquer des souches de Staphylococcus aureus diffusées au sein d’un aérosol de particules de 3 microns de diamètre. L’efficacité doit être supérieure à 95% pour un masque de type 1 et à 98% pour un masque de type 2.

Quand il s’agit de masques en tissu ce que l’on sait d’abord c’est qu’ils peuvent accroitre le risque infectieux s’ils ne sont pas imperméables et qu’ils favorisent la stagnation de sécrétion contaminée en contact de la bouche et du nez. Avec un masque tissu double couche, pourtant visiblement conçu à visée protectrice, il y a dans cette étude australienne randomisée, un risque infectieux multiplié par 13 chez les porteurs de ce masque par rapport au masque chirurgical. Les professionnels devaient le porter en continu et l’observance fut d’à peine 60% mais similaire dans les deux groupes. Donc attention au port prolongé d’un masque de ce type après une exposition de proximité avec un sujet malade.

Certaines études ont trouvé des aptitudes partiellement barrières à des masques textiles de fabrication maison mais toujours nettement inférieure à celle des masques chirurgicaux validés. L’étude néerlandaise de Marianne van der Sande montre une efficacité deux fois inférieure pour bloquer les particules d’un masque en torchon, sans plus de précision, comparé à un masque chirurgical. Anne Davies retrouve des résultats assez similaires, dans un article accessible via researchgate, en utilisant un aérosol avec des pseudovirus et là encore le torchon s’en sort le mieux de tous les textiles testés. Toutefois, aucune précision sur la nature de la fibre textile utilisée, ni sur sa densité, qui sont des composantes de la porosité avec la nature du tissage.

Bien entendu un masque c’est aussi une forme anatomique qui épouse et protège le bas du visage en assurant une protection enveloppante.

Que penser de tout cela alors ? Pour le grand public la distanciation sociale associée aux gestes barrières reste une stratégie pertinente de prévention et le confinement quasi-total notre meilleur espoir.

Toutefois, en cette période de pénurie mondiale, il y a un impératif à protéger d’abord les professionnels de santé mais aussi ceux qui assurent la continuité de l’état et de la vie de notre pays. Les exigences sont évidemment bien moindres hors du soin, mais on comprend le stress des personnes en charge d’assurer approvisionnement et logistique qui sont exposées au public encore itinérant, parfois de façon rapprochée. Dans ce contexte, il est important d’arriver rapidement, si cela est possible, à valider au niveau national un modèle de masque textile de fabrication industrielle qui pourrait avoir un rôle très aidant dans cette crise au fil des semaines dans diverses situations comme la protection de son environnement pour un malade à domicile. Le masque multicouches avec un caractère imperméable, apte à bloquer suffisamment un aérosol de grosses particules et assez anatomique pour protéger un visage pourrait être le candidat final qui prendrait une place dans le dispositif de prévention.

En milieu de soins, et malgré la pression qui monte ou est déjà très haute selon les régions, il faut être économe et réserver les masques aux seules situations où ils sont requis. Les recommandations par essence mouvantes, mais parfois contradictoires, ont parfois semé un trouble complexe à dissiper. Et pourtant, il nous faut aller au-delà. En effet, nous avons et aurons un devoir de fournir masques chirurgicaux et équipements de protection respiratoire à ceux qui soignent les patients atteints de la maladie Covid-19 dont le nombre va croitre encore rapidement avant que l’impact du confinement ne devienne, on le souhaite, visible. Les choses s’organisent mais nous avons encore du temps à tenir dans la tourmente et il faudra être au rendez-vous jusqu’au bout. C’est tout l’objet des actions nationales, régionales et locales en cours.

Chacun peut contribuer à sa manière à ce que nous traversions la crise le moins mal possible.

J’ai une pensée particulière pour tous mes collègues spécialistes de la prévention des infections qui font un travail fantastique sur le terrain dans un contexte plus que délicat. Espérons que la nation leur en sera reconnaissante le moment venu.

Cordialement

Pierre Parneix

Responsable CPIAS NA

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